François Dimberton (scénario) et Alexis Chabert (dessin) s’attaquent au parcours d’un monument de la chanson française du XXème siècle, Serge Gainsbourg (1928 – 1991). Ensemble, ils ont raconté, l’année dernière, la vie de Louis de Funès.
Face à eux, un auteur, compositeur et interprète, qui a exploré à peu près tous les territoires musicaux, des années 50 aux années 90. Plus encore, il fut un artiste tourmenté par l’incompréhension et par ses échecs, s’imposant des revirements, des impasses et des rebonds : la chanson réaliste « à textes », le jazz, le yéyé, la variété, les musiques de film, le rock, le reggae, le funk. Cet itinéraire a été ponctué par des fulgurances littéraires et cinématographiques. Et, au-delà de l’artiste, il y a l’homme, ou plutôt les hommes : Lucien Ginsburg, fils d’exilés ukrainiens, Serge Gainsbourg, faiseur de chansons ou compositeur inspiré, ou Gainsbarre, pendant maléfique et enivré des deux premiers. Tous ces individus s’assemblent, unis par un sentiment primaire et inextinguible de frustration : celle de l’émigré qui ne trouve pas sa place (surtout lorsqu’on est un adolescent juif à Paris pendant l’Occupation), celle du peintre qui n’est jamais satisfait de sa production, celle de l'ambitieux qui aspire à la reconnaissance et au succès, et qui ne les trouvera qu’avec des chansons faciles (L’Ami Caouette). « Poupée de cire poupée de son, qu’est-ce que ça représente pour vous ? – 45 millions », répond Gainsbourg à la journaliste. Enfin, enveloppant l’ensemble, il y a le mythe Gainsbourg, fait de provocations, de déformations médiatiques, de mises en relief qui n’ont de cesse de nous éloigner de l’œuvre.
Écrire une biographie du bonhomme est pertinent, que ce soit d’un point de vue de la chanson française, de l’itinéraire contrarié d’un artiste lui-même contrariant, ou d’un parcours singulier, de l’entre-deux guerres à l’avènement de l’audio-visuel. L’écrire sous une forme dessinée demande une approche particulière. Qu’est-ce qui peut, dans l’existence de Gainsbourg, être l’objet d’une approche essentiellement picturale ? Il y a d’abord sa tronche, qui glissera au fil des années de la laideur à l’identité médiatique, pour aboutir au mythique. Et puis, il y a les années de l’après-guerre à son premier disque (1958), pendant lesquelles Gainsbourg tenta d’être peintre. Enfin, l’expression graphique est un révélateur parfait de la poétique de l’artiste, qu’elle s’exprime par les mots ou par les notes...