"Il n'y a plus personne, pas même moi, puisque je ne peux me lever, qui aille
visiter, le long de la rue du Repos, le petit cimetière juif où mon grand-père,
suivant le rite qu'il n'avait jamais compris, allait tous les ans poser un
caillou sur la tombe de ses parents."Tout le monde cite cette phrase de Proust,
comme si elle donnait le fin mot de son rapport au judaïsme. Mais personne ne
sait d'où elle vient. Madame Proust, née Jeanne Weil, ne s'était pas convertie :
"Si je suis catholique comme mon père et mon frère, par contre, ma mère est
juive", rappelait Proust à Robert de Montesquiou durant l'affaire
Dreyfus.Certains voient dans cet aveu de la distance, voire de la honte de soi
comme Juif, de même qu'ils soupçonnent d'antisémitisme les descriptions de
Swann, Bloch ou Rachel dans la Recherche. Or il parut d'abord en anglais dans un
hebdomadaire sioniste, The Jewish Chronicle, dans un hommage d'André Spire après
la mort de Proust.D'où une enquête de deux côtés.D'une part dans la communauté
juive. Comment Proust fut-il lu durant les années 1920 et 1930, dans la presse
consistoriale, qui n'avait que faire de son roman, et par les jeunes sionistes,
qui firent de lui un héros de la "Renaissance juive" ?D'autre part au
Père-Lachaise, dans le caveau de Baruch Weil, l'arrière-grand-père de Proust, et
auprès de sa descendance, dont Nathé Weil, le grand-père de Proust, et de
nombreux oncles et tantes, cousins et cousines inconnus, huissier franc-maçon,
colons en Algérie, ingénieur bibliophile, compositeur fou...Les deux fils se
nouent et les côtés se rencontrent. Le destinataire de la fameuse phrase était
Daniel Halévy, camarade du lycée Condorcet, et le manuscrit de la nécrologie
d'André Spire est retrouvé. Le côté juif de Proust n'aurait-il plus de secret
?A. C.
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