L’embarras du biographe, lorsqu’il entreprend d’écrire la vie de Vauban, réside dans le choix des expressions à employer, pour qualifier cette grande figure, trop peu connue encore de notre histoire nationale. Non point que ces expressions fassent défaut, mais parce que toutes celles dont on puisse se servir, pour exprimer le bien, ont été épuisées par les écrivains qui, depuis deux siècles, ont été tentés par cette vie si glorieuse, « au-dessus de laquelle rayonne comme une pure lumière le sentiment du devoir. »
Saint-Simon, peu prodigue cependant de louanges, appelle Vauban « le meilleur des Français, » et il a enrichi pour lui notre langue de ce beau mot de patriote, dont personne avant lui n’avait encore été honoré. Fontenelle, dit qu’il fut « un Romain dérobé par son siècle, aux plus heureux temps de la République ; » Voltaire, lui confère le titre de « plus vertueux des citoyens. »
Carnot, Napoléon et tous les grands hommes de guerre ont prodigué leur admiration aux incomparables méthodes dont il a enrichi l’art militaire. Vauban, dit l’historien du corps du génie, le colonel Allent, « fut dans les sièges le législateur de l’Europe. » « Les armées étrangères, écrit un autre historien militaire, n’ont pas une seule figure de ce genre dans leurs annales. »
Enfin, les économistes le revendiquent pour un des premiers et des plus illustres pionniers de la science sociale. Vauban, dit Blanqui, « a posé les principales bases de la science économique. » Il doit être considéré « comme le créateur de la statistique, » ajoute un autre. « Il est un des hommes qui ont le plus fait honneur à l’humanité, écrit un troisième, etc. »
Dans une remarquable étude sur l’œuvre sociale et politique de Vauban, un savant français, M. G. Renaud, a porté sur lui ce jugement qui montre à quel rang cet homme, connu seulement du plus grand nombre par les sièges qu’il a faits et les forteresses qu’il a construites, est placé parmi les plus illustres figures de notre histoire : « Depuis Sully, dit-il, une succession à peine interrompue de grands ministres avait relevé la France et amélioré son administration. Sully, Richelieu, Mazarin, Colbert surtout, avaient dégagé le pays d’une partie du fardeau qui l’empêchait de progresser. Mais Colbert mort, il n’y eut plus personne pour poursuivre l’œuvre de réforme. Cependant, il existait bien quelqu’un capable de la continuer, ce quelqu’un c’était Vauban. Lui disparu, il ne se présente plus personne d’une taille assez haute pour recueillir la succession de ces hommes éminents. »
Et M. Renaud ajoute que plus on étudie l’œuvre considérable de Vauban, plus on est effrayé d’une pareille tâche. « On admire de plus en plus, dit-il, l’amour profond de ce courageux patriote pour sa chère France ; on éprouve pour ses vertus et ses talents une véritable vénération et un enthousiasme impossible à décrire. Les mots, dans leur insuffisance, semblent incapables d’exprimer la grandeur de cette honnêteté si sincère, de cette vertu si pure, de cette gloire si modeste. »