La propagande offre une voie de sortie, une solution et un sens au sujet. Mais elle joue aussi sur
sa culpabilité pour assurer qu'il agisse. Le plan est élaboré. Tout ce qu'il reste à faire, c'est que
l'individu participe au plan et si le plan ne fonctionne pas, ce sera par la faute de l'individu.
Une propagande réussie désamorce la faculté de juger du sujet pour faire entrer ce dernier dans un
mouvement social quelconque. Dans le cas des totalitarismes, la propagande sert surtout à faire
usage de la force brute des masses pour les faire entrer dans l'engrenage du mouvement
totalitaire. La grande réussite de la propagande totalitaire est donc sa capacité de récupérer les
forces des masses en les sortant de l'imaginaire politique dans le but de les incoporer dans un
mouvement tout en donnant l'illusion aux individus qui composent ces masses qu'ils sont libres
et qu'ils participent au politique.
Pour Ellul, les effets de la propagande sont dangereux. La propagande aliène l'individu et elle
prend part à la destruction de sa capacité de faire appel à son esprit critique. Son attaque envers
l'individu est extrêmement profonde et elle va jusqu'à affecter la capacité de penser de l'individu.
En dissociant l'être humain de sa capacité de penser, la propagande contribue à sortir ce dernier
du temps. Si c'est la capacité réflexive de l'individu qui lui permet de se situer dans le temps, et si
la propagande s'attaque d'abord à la capacité de penser de ce dernier en lui donnant un point de
référence extérieur, alors c'est la situation du sujet dans le temps qui est menacée. Pour Ellul, la
propagande constitue ou du moins accélère la constitution d'un homme sans passé et sans avenir,
qui reçoit à chaque instant sa tranche de pensée et d'action, formant une personnalité discontinue
qui prend sa continuité de l'extérieur. Une fois que l' homme est pris dans le mécanisme de la
propagande, il ne peut plus s'en passer.
Après tout, la propagande offre à l'individu un sentiment de sécurité. Mais ce sentiment a un prix,
puisque nous avons aussi mentionné plus tôt qu'il est accompagné d'un sentiment de culpabilité.
En retour, il est à noter que si la propagande apparaît comme une nécessité pour l'individu
moderne qui vit dans une société technicienne, elle est tout aussi nécessaire pour l'État. La
propagande, selon Ellul, n'est pas exclusive aux totalitarismes. Devant le développement
exponentiel de la technique dans le monde, la culture tend à s'effriter. Si la culture fut jadis un
point de référence assurant la cohésion sociale et que la technique menace la culture, alors nous
pouvons déduire avec Ellul que la technique menace la cohésion sociale. Pour remédier à ce
problème, les propagandes démocratiques sont développées pour créer un sentiment
d'appartenance. Autrement dit, la propagande assure la cohésion sociale, même dans un contexte
démocratique où la technique est en développement constant.
Ce serait donc une erreur de penser que toutes les propagandes sont équivalentes à des
communications mensongères. Lorsque nous parlons de propagande, il n'est pas question de
mensonge ou de vérité mais bien d'efficacité.
Nous pouvons donc affirmer que certains mots qui constituent les langages totalitaires
renvoyaient à un effet spécifique recherché par la propagande. Par exemple, l'expression
«expédition punitive» qui, en Allemagne nazie, renvoyait à l'action d'aller battre des
communistes avec des matraques, était de l'ordre de la propagande d'agitation. Par contre, tout le
champ lexical qui entourait la fierté de la race allemande était davantage de l'ordre de la
propagande d'intégration. Les langages totalitaires proviennent initialement de la propagande
verticale, mais une fois qu'ils pénètrent le langage vernaculaire, ils deviennent de la propagande
horizontale. Ils circulent dans la sphère vernaculaire et pénètrent l'imaginaire des gens, agissant
ainsi comme forme de propagande intériorisée et se propageant tel un virus qu'on ne peut arrêter.
Dans ce sens, il est possible de dire que les langages totalitaires sont à la fois produits de la
propagande tout en étant une forme de propagande au quotidien